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Pierre Marcelle (Libé) : « Il faut laisser la nation à sa place (à droite) »

25 Sep

SOS racisme, Libération et La Règle du jeu ont lancé mardi 14 septembre une pétition intitulée « Touche pas à ma Nation ». Le texte que vous pouvez lire ici dénonce une « dérive illustrée aussi bien par le débat sur l’identité nationale que par l’ignoble stigmatisation dont les Roms et les Gens du voyage sont depuis quelques semaines les victimes » et plus gobalement « une atteinte intolérable aux principes constitutifs de la Nation ». Pierre Marcelle, chroniqueur à Libération, se distingue de sa rédaction en récusant l’utilisation du terme Nation, réservé selon lui « à l’ennemi ». Le journaliste-écrivain a en fait un cran d’avance dans la promotion de la démocratie post-libérale brillamment décrite par le chercheur américain John Fonte (lire l’article publié sur ce blog le 18 juillet dernier). Voici la chronique de Pierre Marcelle (Libération, 17 septembre) :

Quand est-ce qu’il dégage, le ministre Hortefeux, raciste avéré et rafleur sans vergogne, à coups de bulldozers et de circulaires ? Et le ministre Besson son comparse, menteur patenté et systémique, quand est-ce qu’il dégage ? Ces deux-là font partie d’un exécutif censé incarner, de quelque façon qu’on le nomme, l’Etat, la République, la Nation, l’Etat-Nation… Ceux qui nous gouvernent, en tout cas… Ces deux-là, pour ne prendre que ces deux-là, qui font la paire, établissent que notre capacité à supporter l’insupportable est incommensurable.

Lire la chronique

Rocard à l’université d’été du Medef juge les souverainetés nationales « nuisantes »

11 Sep

1:25 « L’urgence est qu’il va falloir finir par tomber d’accord pour dire que les souverainetés nationales ont dépassé leur stade d’efficacité, elles entrent dans la période de la nuisance. »

Les trois erreurs de Nicolas Sarkozy par BHL, revu et commenté

5 Août

Le Monde a publié dans son édition du 4 août une longue diatribe de Bernard Henri-Lévy. Ce blog s’en fait le relais partial.

Le président de la République vient, à la faveur de la trêve estivale et de la torpeur qui va avec, de commettre, en huit jours, trois erreurs.

La première fut de convoquer, à l’Elysée, le 28 juillet, au lendemain des actes de délinquance graves dont Saint-Aignan (Loir-et-Cher) fut le théâtre, un « sommet » supposé « faire le point » sur « la situation des Roms et des gens du voyage ». Il n’est pas sûr, d’abord, que le palais de l’Elysée soit le bon endroit pour débattre de questions de délinquance. Les cafés bobos des mondains droits-de-l’hommistes de Saint-Germain-des-Prés ou du Marais sont sans doute un lieu plus admissible.

Il est sûr, en revanche, qu’il y avait dans le principe même de ce sommet une façon de faire l’amalgame entre des étrangers en situation irrégulière (certains Roms) et des citoyens de plein droit, Français depuis plusieurs générations et astreints donc, à ce titre, au droit commun à tous les Français (les hommes et les femmes entrant, à leur corps plus ou moins défendant, dans la catégorie statistique et administrative de « gens du voyage »). Vouloir démanter les camps illégaux de « gens du voyage », c’est vraiment faire un scandaleux amalgame.

Mais il est évident surtout qu’il y avait, dans le fait même de convoquer cette réunion, dans le fait de dire les Roms ou les gens du voyage quand tels Roms ou tels gens du voyage s’étaient rendus coupables de délits ou de crimes, bref dans le fait de tenir une communauté pour comptable des agissements de certains de ses membres, un risque de stigmatisation collective contraire aux usages républicains. Rappelons que la réunion interministérielle organisée à l’Elysée était consacrée mercredi aux « problèmes que pose le comportement de certains ressortissants des communautés au regard de l’ordre public et de la sécurité ». 

L’opinion publique ne s’y est pas trompée qui a vu ressurgir, du plus haut des ministères jusqu’au caniveau des populismes, les clichés que l’on croyait éculés tant ils ont pu être, dans un passé récent, atrocement meurtriers sur le Gitan « voleur de poules » ou propriétaire de « Mercedes grosse cylindrée ». Et quant aux intéressés, quant aux honnêtes gens (puisque c’est, semble-t-il, le mot du jour) qui vivent dans une précarité honnête ou une opulence fiscalisée leur culture nomadisée, quant à ces Français de longue date ou d’adoption qui, communauté pour communauté, et dès lors qu’on les traitait comme une ou, plutôt, deux communautés, ont eu la surprise supplémentaire de découvrir qu’on n’avait même pas songé à convier à la réunion un représentant, un porte-parole, un témoin desdites communautés, ils sont, aujourd’hui, en état de choc. L’opinion publique si diverse et si mal représentée à la télé comme dans l’hémicycle appréciera qu’un homme de l’acabit de BHL vienne parler en son nom.

Pour aucun autre groupe, on n’aurait osé agir de la sorte. De n’importe quelle catégorie sociale, on aurait, et c’est heureux, eu l’élémentaire courtoisie (ou précaution ?) de solliciter l’avis. En l’occurrence, on ne l’a pas fait – et qu’il se trouve si peu de responsables pour s’en émouvoir, que ce lapsus, cet oubli, ce mépris soient passés dans l’évidence et l’innocence, que la gauche elle-même ait semblé juger la cause peu digne de ses indignations programmées ne fait qu’ajouter à la colère le chagrin et, hélas !, la pitié. Ce n’est pas comme si le PS avait publié sur son site web un communiqué pour dénoncer « la dérive sécuritaire et xénophobe du gouvernement », rien que ça. Sans parler de l’assignation à démission demandée par Benoît Hamon et relayée dans tous les médias.

La deuxième erreur fut, dans le désormais fameux discours de Grenoble, la proposition de déchoir de la nationalité française toute personne « d’origine étrangère » qui aurait « volontairement porté atteinte à la vie d’un policier, d’un gendarme ou de tout autre dépositaire de l’autorité publique ».

Je passe sur le caractère ubuesque de cette notion d’origine étrangère. Car où commence l’origine étrangère ? A partir de combien de générations serait-on, dans l’esprit de la mesure envisagée, à l’abri de la possible déchéance ? Le président a-t-il un critère en tête ? Un test (peut-être ADN) ? Et, quand bien même cela serait, dans l’hypothèse où les Sages du Conseil constitutionnel, du Conseil d’Etat ou, tout simplement, du Parlement valideraient cette proposition insensée, qu’adviendrait-il des déchus ? N’ayant, comme tout un chacun, pas de nationalité de rechange, dans quel vide juridique tomberaient-ils ? Ex-Français ? Apatrides ? Allons-nous, sous prétexte que, comme dit le chef de l’Etat, la machine à fabriquer des citoyens « a marché » mais « ne marche plus », la remplacer par une machine à fabriquer des sans-patrie ? Notons que finalement, Bernard-Henri ne passe pas sur « le caractère ubuesque de cette notion d’origine étrangère ». C’était trop tentant. Observons également que le mot « nation » ne semble plus être un gros mot pour le plus beau spécimen d’ « élite mondialisée ». Pour obtenir sa réponse, le dandy à la chemise aussi ouverte que nos frontières, il suffisait simplement d’écouter le ministre Besson : « il suffit de revenir à l’Etat de droit qui prévalait jusqu’en 1998 : en clair, étaient passibles de déchéance de la nationalité française toutes celles et tous ceux qui avaient commis des crimes, passibles de plus de cinq ans de prison, et qui l’avaient fait dans un délai de dix ans après l’acquisition de la nationalité ».

Le pire, cela dit, le pire et le fond de l’affaire, c’est que la proposition, si elle est sérieuse, si elle n’est pas juste une façon de gesticuler pour tenter de prendre à Marine Le Pen un peu de son fonds de commerce électoral, contreviendrait de manière frontale à un axiome trois fois sacré car inscrit dans le triple marbre des trois textes fondateurs de notre vivre ensemble républicain : le programme du Conseil national de la Résistance du 15 mars 1944, la Déclaration des droits de l’homme de 1948, la Constitution de 1958.

Il postule, cet axiome, l’« égalité devant la loi » (quelle que soit, précisément, leur « origine ») de tous les citoyens. Il dit qu’on est Français ou qu’on ne l’est pas – mais qu’à partir du moment où on l’est, on l’est tous de la même manière. Il insiste : on devient Français ou on ne le devient pas – mais, dès lors qu’on l’est devenu, il est interdit de distinguer entre Français plus ou moins français. Ce cher BHL oublie que notre droit permet dans certains cas la déchéance de la nationalité : « L‘individu qui a acquis la qualité de Français peut, par décret pris après avis conforme du Conseil d’Etat, être déchu de la nationalité française, sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride :
   1º S’il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme ;
   2º S’il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit prévu et réprimé par le chapitre II du titre III du livre IV du code pénal ;
   3º S’il est condamné pour s’être soustrait aux obligations résultant pour lui du code du service national ;
   4º S’il s’est livré au profit d’un Etat étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France. »
  Reste à savoir si le déchu devient apatride. Rue89 revient sur les derniers cas et notamment celui d’un groupe terroriste  (
lire l’article):  « Accusé d’appartenir à la nébuleuse Al-Qaeda, ce groupe est arrêté en 2001 et accusé de préparer un attentat contre l’ambassade des Etats-Unis à Paris. Six hommes sont mis en cause, tous Français. Mais cinq d’entre eux sont naturalisés. La nationalité française leur est retirée. L’un d’entre eux, Djamel Beghal, conteste cette décision devant le Conseil d’État. Il soutient qu’il n’a plus la nationalité algérienne et que cette mesure l’éloignera de sa famille française. La juridiction lui rétorque qu’il n’a jamais été déchu de sa nationalité algérienne. Le fait d’être né et enregistré en Algérie lui suffit à la conserver ». Qui aurait cru que Bernard- ne surfait pas Rue89 ?

On peut discuter, en d’autres termes, des conditions qui permettent d’accéder à l’être-Français; on peut les multiplier, les affiner, les durcir, les solenniser : mais que l’on laisse s’insinuer l’ombre de l’idée qu’il y aurait deux classes de Français selon qu’ils sont nés Français ou qu’ils le sont seulement devenus, que l’on se laisse aller à imaginer un ordre des choses où il y aurait les Français à l’essai et les Français pour toujours, les Français en sursis et les Français sans débat, les Français qui restent Français même s’ils commettent des actes de délinquance et ceux qui cessent de l’être parce qu’ils ne l’étaient, au fond, qu’à demi, voilà qui, si la France est la France, n’est tout simplement pas concevable. Question de principe.

On ne touche pas, fût-ce par ruse ou tactique, à cette sorte de principe. Car, que l’on s’y risque, que l’on joue avec ce postulat fondateur, et c’est le socle de la République, ce bien commun des Français, qui se met à vaciller. On part, fleur au fusil, à la chasse aux casseurs de gendarmeries. On se retrouve, à l’arrivée, dans la peau d’un casseur de ce dont les gendarmeries sont censées être, aussi, les gardiennes : l’esprit des lois, le génie du droit, la lettre d’une Loi fondamentale dont tout le sens est de nous dire ce qu’être Français veut dire…

Et je ne parle même pas des suiveurs qui, l’imagination des imbéciles n’ayant pas plus de limites que l’autre, se sont engouffrés dans la brèche d’une politique dont on leur serine, en haut lieu, à tout bout de champ, qu’elle doit être « sans tabou » et brisent, en effet, les derniers tabous de l’honneur et du bon sens en lançant, par exemple, cette proposition ahurissante, presque démente : coller en prison les parents de mineurs délinquants n’ayant pas respecté, notamment, leurs « obligations en termes de résultats scolaires » ! C’est amusant comme les belles âmes du kistch moderne encensent la diversité, sauf dans le débat démocratique. Dément ou imbécile, l’auteur de la proposition ne devrait tout simplement pas pouvoir l’ouvrir.

Et puis la troisième faute, enfin, tient à l’usage même du mot de « guerre » dans la « guerre nationale » déclarée par le président, toujours à Grenoble, aux nouveaux voyous. Le mot était déjà problématique quand il servait à George Bush à déclarer, aux Etats-Unis, la guerre à un terrorisme dont son prédécesseur, Bill Clinton, fit opportunément observer qu’il ne se serait pas mieux sorti d’une classique mais implacable traque policière. Il l’était, en France, au moment des émeutes de 2005 dans les banlieues, quand le premier ministre du moment, Dominique de Villepin, exhuma un arrêté datant de la guerre d’Algérie pour imposer le couvre-feu à des quartiers dont il devint clair, en un instant, que les plus hautes autorités de l’Etat, celles qui avaient pour mission de calmer le jeu, d’apaiser les esprits, de refuser l’escalade et la surenchère, bref de doser répression et discours pour isoler les délinquants et, à terme, les punir, les tenaient pour des zones ennemies.

Eh bien, il est tout aussi choquant quand c’est le président Sarkozy qui le reprend et qui, ce faisant, chaussant ces bottes de va-t-en-guerre, entérinant l’idée que la France serait engagée dans une véritable guerre intérieure, bref, répondant à l’outrance par l’outrance, à l’escalade par une autre forme d’escalade, prend un double et même un triple risque : celui, en dramatisant ainsi les choses, de distiller dans le pays une autre sorte de tension, de fièvre, peut-être de peur et, au fond, d’insécurité ; celui de venir sur le terrain des voyous, d’accepter le défi qu’ils lui lancent et de consentir, par conséquent, à cette montée aux extrêmes qui est leur imaginaire en même temps que leur projet secret ; et puis celui, enfin, de s’engager dans une bataille dont les démocraties, ces royaumes du droit et du scrupule, ont toujours su qu’elles ne sont pas équipées pour la mener et dont il n’est pas du tout certain, du coup, qu’elles sachent la gagner.

Quand les voyous parlent de guerre, c’est une provocation. Quand les Etats disent « chiche, la guerre ! », cela s’appelle la guerre civile. Et c’est précisément parce que la guerre civile menace, c’est précisément parce que le lien social, partout, commence de craquer, qu’il faut tout faire pour éviter ce que les mafias-terreurs nous présentent comme inévitable – et, inlassablement, répéter : les délinquants ne sont pas des ennemis, ce sont des criminels ; les gens chargés de les neutraliser ne sont pas des soldats, ce sont des policiers ; et si cette neutralisation est difficile, si les systèmes d’incivilité contemporains ont gagné en sophistication et contraignent ceux qui s’y opposent à plus d’habileté mais aussi de fermeté, la pire des solutions serait d’en revenir à la langue martiale, rustique et, encore une fois, hautement risquée de la militarisation de l’action policière : parler de « guerre aux voyous », c’est déjà l’avoir perdue. Les délinquants en question occupent des « territoires » bien délimités et n’hésitent pas à tirer sur les forces de l’ordre. Tout étranger à la cité devra passer une frontière surveillée par une douane dealeuse de crack et vendeuse de guns… Si ce n’est pas une guerre, qu’est-ce que c’est ?

Alors ce sont des mots, dira-t-on. Ce ne sont que des mots, probablement dictés par des considérations politiciennes. Sauf que, dans la bouche d’un président de la République, les mots sont toujours plus que des mots et donnent à une société son souffle, son rythme, ses réflexes. Face à la montée de l’insécurité et de la haine, face à la nécessité, comme disait Michel Foucault, de défendre la société contre des hommes dont tout le programme est le nihilisme, face à l’ardente obligation, n’en déplaise à l’angélisme ambiant, de lutter contre les voyous publics et leur violence sans limite, il y a, en vérité, deux solutions. Toujours cet esprit binaire qui décomplexifie tous les sujets : d’un côté le mal absolu indéfendable, de l’autre la méthode humaniste qui va de soi.

Monter aux extrêmes donc, tenir le langage de la déchéance, de l’œil pour œil dent pour dent et de la guerre : ce ne sera jamais que la version sophistiquée du tristement fameux « casse toi, pauv’con » – et, l’exemple venant d’en haut, les comportements des citoyens s’indexant mystérieusement mais constamment sur ceux des princes, c’est la garantie d’une société fiévreuse, inapaisée, où chacun se dresse contre chacun et où le ressentiment et la haine seront très vite les derniers ciments du contrat social. Le culte de la repentance et la culture de l’excuse, voilà de vraies et belles solutions pour redorer notre contrat social.

Ou éviter le piège, cesser de faire assaut de déclarations fracassantes, prétendument viriles et qui ne font, je le répète, que souligner l’impuissance des Etats, sortir, en un mot, du rang des matamores et de leur bouillante passion pour la rivalité mimétique et l’esprit de revanche – et s’en aller fouiller dans l’autre corps, celui qui, selon l’historien américain Ernst Kantorowicz (1895-1963), est fait, non de passion, mais de distance, pour y puiser audace, fermeté, mais aussi sagesse, finesse, mesure et, surtout, sang-froid. Ce sont, en la circonstance, les seules vertus qui vaillent. Mais ce sont celles dont Nicolas Sarkozy paraît, hélas !, ces jours-ci, le plus tragiquement dépourvu. Vous ne faites aucune erreur Bernard-Henri, vous ne trahissez à aucun moment l’intellgentsia autiste dont vous êtes le plus probant représentant. Vous avez une fois encore brillamment révéler votre aveuglement ou votre duperie (sans doute un peu des deux).

Pour finir, je ne résiste pas à montrer à ceux qui ne l’auraient pas encore visionné ce reportage de France 2 sur BHL, appelé la barre pour témoigner dans une affaire criminelle. Une pièce à conviction exceptionnelle pour un autre procès, celui du kitsch moderne.