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Retour sur la polémique autour de la venue de Jean-Marie Le Pen au CFJ

1 Nov

Jeudi 28 octobre, Jean-Marie Le Pen était l’invité du Centre de formation des journalistes (CFJ). Chaque semaine, l’école propose à ses élèves un rendez-vous avec une personnalité. « La direction de l’école est attachée à convier des personnalités les plus diverses dans les domaines de la politique, l’économie, les médias, la culture et le sport », peut-on lire dans un communiqué du CFJ publié sur son site.

Comme on aurait pu s’y attendre, la réaction pavlovienne des antiracistes censeurs n’a pas tardé à se mettre en marche. Le syndicat SNJ-CGT, majoritaire dans beaucoup de rédactions, publie un communiqué acerbe le 25 octobre avec un titre limpide : « La SNJ-CGT ne veut pas de Jean Marie Le Pen au Centre de formation des journalistes ». « On croit rêver : le conducator éructant serait rangé désormais dans la liste des invités fréquentables, qui plus est face à de futurs journalistes qu’il ne cesse d’insulter», s’insurge le syndicat. Le communiqué hésite entre la rage corporatiste et le candide étonnement droit-de-l’hommiste : « Comment admettre que ce démagogue, leader des thèses racistes qui ont inspiré les lois scélérates prises par Sarkozy-Fillon-Hortefeux contre les émigrés et les jeunes des banlieues puisse débattre avec des étudiants en journalisme ? ». C’est vrai ça, nos futures élites médiatiques méritent mieux que ça. Les initiations devraient d’ailleurs se cantonner aux personnalités de gauche, si possible mondialistes (exit Mélenchon qui en plus insulte les journalistes). Pas de temps à perdre pour les hommes et femmes pressés qui peupleront bientôt les maisons de la fabrique de l’information. Pour simuler un intérêt préservé pour les thèses marxises du partage des richesses, le SNJ-CGT délaisse son antiracisme moralisateur pour une attaque ad hominem à l’encontre du ténor frontiste quelque peu extravagante. « Programmer un débat avec le milliardaire Le Pen, pourfendeur des acquis sociaux, un jour de mobilisation nationale contre les projets du gouvernement et au moment où les luttes sociales s’amplifient pour dénoncer les coups portés par le gouvernement au pacte républicain, où l’opposition au projet de loi sur les retraites réunit salariés, étudiants, lycéens, retraités, où la police sur ordre de l’Elysée matraquent les grévistes, est insupportable. » Les écoles de journalistes devraient donc convier des personnalités de gauche, et en plus pas trop riches. Le champ de convives acceptables ne cesse de se réduire. Le métier de facteur est-il suffisamment précaire ? Au-delà d’être scandaleuse et « insupportable », « la venue de Le Pen rue du Louvre est TOTALEMENT IMPOSSIBLE » (ce n’est pas moi qui met en majuscules). Se plaisant à jouer les Jean Moulin, le SNJ-CGT en finit tout bonnement par appeler « les syndicats de journalistes, la profession dans toutes ses composantes, les associations de lutte contre racisme et les élus à empêcher une telle provocation contre la démocratie ».

Cité dans Les Inrocks, Emmanuel Vire, secrétaire général du SNJ-CGT, ajoute l’argument pédagogique à la diatribe humaniste. « On veut faire croire que ça peut être formateur de débattre avec Le Pen. Mais c’est un roc. Ce genre de show n’est pas très formateur. Si on veut s’entrainer, on passe des vidéos de Le Pen et on les décrypte avec un spécialiste ». Quelle belle idée : Des après-midi DVD entre gens respectables en se demandant qui trouvera le plus de tics révélateurs d’un nazisme difficilement dissimulé ou la petite phrase significative qui permettra de sortir une fois pour toute le vilain tribun de l’humanité. Le e-learning est définitivement à la mode, même dans le domaine du débat démocratique.

Dans cette lutte résistante acharnée, le syndicat aura eu le soutien de L’Humanité. La journaliste Lina Sankari crie haro sur le caractère moutonnier des médias : «  L’école de la rue du Louvre qui se targue souvent d’être une école d’excellence confirme qu’elle forme une armée de journalistes utiles à la bonne marche de la propagande libérale ». « Il dit qu’il voit pas le rapport », comme dirait l’autre. Le programme du FN serait-il libéral ? Le Pen serait -il devenu adepte des slogans « il faut encore plus d’Europe » ou « les frontières sont une barrière à la croissance économique » ?

Le CFJ n’est pas resté muet quant aux charges du journal à l’encontre de son école. Christophe Deloire, directeur de l’école, publie sur le site du CFJ un droit de réponse, envoyé à L’Humanité le mardi 26 octobre. Sur l’accusation de mimétisme, Christophe Deloire rétorque l’impératif journalistique d’ouverture au débat : « Fondé par des résistants de Défense de la France, le CFJ confirme simplement son attachement au débat contradictoire, au pluralisme, et finalement, au réel. N’est-ce pas ainsi, justement, que l’on évite d’être des petits soldats ? ».

C’est sans surprise que SOS Racisme met son grain de sel dans cette nouvelle surenchère d’indignation. Citée par l’AFP, l’organisation souligne qu’«il est intolérable qu’une institution d’enseignement supérieur comme le CFJ confère au leader frontiste le statut d’invité fréquentable ». Et d’ajouter qu’elle « rappelle à la direction du CFJ que le racisme, idéologie endémique portée Jean-Marie Le Pen, n’est pas une opinion comme les autres mais un délit ».

Dans Les Inrocks, on peut cette fois lire l’édifiant coup de gueule de Cédric, militant du NPA : « C’est inadmissible d’inviter un fasciste à débattre démocratiquement ». On peut se demander qui est le fasciste dans l’histoire. Comme le relève dans son titre le magazine il y aura eu finalement «beaucoup de bruit dehors, peu de surprises dedans ». Et « beaucoup de bruit », c’est une façon de parler. « Sur le trottoir, l’appel à la manifestation de deux syndicats de journalistes et de SOS Racisme n’a pas été très suivi. Quelques personnes ont manifesté devant l’entrée de l’école en fin de matinée, sans même réussir à accrocher leur banderole », raconte Europe1.

Il n’en reste pas moins que le directeur du CFJ ne regrette pas l’invitation, ses élèves n’ont pas manqué de mordant et de sens journalistique. « La rencontre s’est passée comme cela devait se passer. Je trouve que dans l’ensemble, ils sont restés très bien positionnés, ont posé des questions de journalistes et ont contredit Jean-Marie Le Pen avec des faits. » Ce n’est pas l’avis de L’Humanité. Dans un article publié le lendemain du rendez-vous homme politique-graines de journaliste, le journal titre « Le Pen vante le nazisme devant de futurs journalistes », le président du FN ayant affirmé que « dans le national-socialisme, il y avait un contenu socialiste considérable qui a transformé la société allemande plus qu’aucune force politique ne l’avait fait ». Analyse historique recevable ou nouveau dérapage raciste ? Y’a pas photo pour L’Huma.

Les étudiants ne sont pas déçus du voyage idéologique et satisfaits de pouvoir ajouter une corde à leur âme fraîche de pourfendeur des idées reçues. Bien qu’expérimentés par de longs mois de pige dans des médias aux lignes éditoriales sûrement divergentes, nos jeunes gardiens de la pensée correcte ont difficilement gardé leur calme. « C’est pas facile de garder un professionnalisme face à une personnalité comme ça », reconnaît un étudiant au micro d’Europe 1. « Il a une faculté étonnante pour éluder les questions et mentir », témoigne Alexandre à l’AFP. Etonnant et si rare chez nos hommes politiques !

Un journaliste en herbe considère que ses camarades et lui se sont laissés emporter par leur passion du respect de l’autre et de la non-stigmatisation : « Celui qui s’énerve, c’est celui qui perd. Donc, comme je pense qu’on s’est plus énervés que lui, on a perdu ce combat de boxe ». A méditer.

Tout ce ridicule pataquès démontre une fois de plus la mainmise idéologique de l’esprit antiraciste dans le journalisme hexagonal. On rétorquera que le rendez-vous a pu se tenir et que la manifestation aura peu mobilisé. Certes. C’est en ce sens rassurant de constater que les soixante-huitards syndiqués commencent à perdre de leur influence dans le milieu médiatique et que leur progéniture doctrinaire d’extrême gauche type NPA semble minoritaire dans la profession. Non ce qui est inquiétant c’est que les journalistes pensent globalement la même chose. L’Humanité n’est pas crédible quand il dénonce l’uniformité des médias car le journal est depuis vingt ans le représentant extrême d’une pensée antiraciste, anti-frontières et anti-nations (enfin, celles de la « vieille Europe », les Etats-Unis et Israël). Seul le point de vue sur l’Europe offre à L’Humanité une place particulière dans le panel faussement pluraliste des médias français. De Libération au Figaro, en passant par Le Parisien, Le Monde, Slate, Rue 89 ou Médiapart, les journalistes sont sinistrement presque tous de gauche. Quand ils sont de droite comme les pontes du Figaro, ce sont des libéraux qui réclament eux-aussi la disparition des frontières.

Les réactions des étudiants du CFJ sont significatives de cet état de fait. Assez malins pour ne pas tomber dans le panneau de l’exclusion de Le Pen, ils n’en restent pas moins soucieux d’afficher leur aversion pour le personnage et son programme, en refermant par principe leur curiosité et la remise en cause de soi. Par essence, tout ce que dit Le Pen est soit dangereux, soit grotesque et vraiment à côté de la plaque comme par exemple lorsque le président du FN évoque « une politique de natalité nationale » et que la salle s’esclaffe.

La presse serait l’exercice d’un quatrième pouvoir nécessaire pour le bon fonctionnement de notre démocratie, entend-on souvent (mais bizarrement toujours aux mêmes endroits : dans les colonnes des journaux, sur les plateaux télé et dans les écoles de journalisme). La diffusion permanente et multicanal de lieux communs, mal camouflée derrière une objectivité impossible, et le rejet de toute forme de pensée contradictoire, ou pire, de toute réflexion un tant soit peu complexe et nuancée, une forme de censure en somme, m’amène à souvent penser le contraire.

Les journalistes et leurs syndicats réclament toujours plus de liberté. L’existence d’un réel pluralisme médiatique me semble une quête plus légitime. Croire comme le braillent beaucoup des bien-pensants que c’est en démolissant la concentration dans les entreprises de presse qu’on y arrivera, c’est se mettre le doigt dans l’œil. Il faudrait plutôt s’intéresser au formatage exercé par les écoles de journalisme ou mieux, diminuer le recrutement de journalistes issus d’écoles de journalisme.

Le site Enquête et Débat publie l’avant et le pendant de ce rendez-vous du CFJ pas comme les autres. Voici la vidéo :