Extrait d’un entretien donné par l’historien Jean Sévillia au journal de l’Action française.
« La manipulation des esprits par l’idéologie officielle ne date pas d’aujourd’hui. L’école de Jules Ferry, derrière sa neutralité apparente, développait un projet éminemment politique : former des citoyens républicains échappant à l’influence de l’Eglise. Mais le politiquement correct a pris tant d’importance, aujourd’hui, parce qu’il se situe à un carrefour. Evolution de l’idéologie dominante en premier lieu. Les années d’après-guerre ont été dominées, dans le milieu intellectuel, par le communisme version soviétique. Après le choc de 1956 – le rapport Khrouchtchev, la révolte de Budapest écrasée dans le sang – de nombreux intellectuels rompent avec le PC tout en restant marxistes. Le tiers-monde, dans les années 1960, sert d’exutoire à leur espoir : c’est de Chine ou de Cuba que viendra la révolution. Suit Mai 68, qui est, en dépit des apparences, une révolte individualiste contre les deux puissances de l’époque : l’Etat gaulliste et le parti communiste. Les idées de Mai touchent toute la société. A droite, le giscardisme en sera l’héritier, avec ses réformes sociétales directement issues de 68. A gauche, le PC entame son déclin, qui mettra quinze ans à s’accomplir. A la patrie, paradigme gaulliste, la droite préfère le libéralisme. A la révolution, paradigme marxiste, la gauche préfère désormais les droits de l’homme, la liberté de l’individu. A la fin des années 1980, quand le système soviétique s’effondre, la gauche est déjà ralliée aux lois du marché, et la droite a adopté la révolution des mœurs venue de la gauche.
D’où une convergence entre droite et gauche, dans les années 1990, qu’on a appelée le libéralisme libertaire, nourrissant une vision commune de l’homme et de la société. La planète est un marché, le monde est une sphère de libre-échange humain, matériel, financier et culturel, où les frontières doivent tomber parce que les concepts de nation ou de civilisation sont caducs. Toutes les cultures se valent, l’individu est libre de choisir ses idées et ses valeurs, débarrassé des références dogmatiques et religieuses. Tel est le fond de sauce du politiquement correct qui peut accommoder tous les plats, mais avec des variantes et des nuances dans le dosage selon le lieu et le moment.
L’emprise de ces idées sur la société s’explique par le fait qu’elles rencontrent une sorte de consensus chez les élites médiatiques et culturelles qui les assènent au nom du magistère moral qu’elles croient détenir. Les élites politiques partagent cette idéologie dans leur majorité ; si ce n’est pas le cas, leur outillage intellectuel, doctrinal, moral et spirituel est si faible, dans l’ensemble, qu’elles ne voient rien à y opposer et qu’elles cèdent devant, par ignorance ou par lâcheté. »